Introduction
Quel est le signe d'une bonne création ? C'est le mouvement. L'histoire d'une création réussie commence avec le mouvement de son créateur pendant qu'elle est en cours de fabrication, et s'amplifie par sa publication, qui fait sortir l'œuvre en balade. Elle se prolonge ensuite dans le sentiment que l'œuvre suscite chez tous ceux qui la voient, l'utilisent, ou y contribuent, et s'intensifie lorsque cette audience transmet l'œuvre à d'autres. La création prend de la valeur en passant de main en main ; de contexte en contexte ; de besoin en besoin. Lorsque tous ces mouvements s'harmonisent, l'œuvre prend vie et devient une expérience partagée qui rend notre vie meilleure et amène lentement le monde à réaliser tout son potentiel.
Le rôle du créateur est d'organiser librement et d'ordonner ce mouvement. Le but de son travail est de s'assurer que la direction de ce mouvement nous conduit vers un futur désirable. Marshall McLuhan a dit que « nous regardons le présent dans un rétroviseur », et nous « marchons à reculons vers le futur ». L'invention devient notre optique pour imaginer ce qui est possible, et la création la route que nous suivons pour l'atteindre. Mais il y a quelque chose qui cloche dans le point de vue de McLuhan : on n'arrivera jamais au futur en marchant au pas. C'est une méthode trop méthodique et limitée. Le monde dévie souvent nos plans les mieux conçus, aussi notre route exige un moyen de déplacement plus erratique, plus audacieux, plus réactif. La légèreté et la joie données par la création nous suggèrent plutôt la danse.
Il faut de la musique pour danser, et nous avons tous une chanson différente. Ces chansons sont le point culminant de nos dispositions individuelles. Elles sont le produit de nos pistes de recherche sur le travail que nous faisons, et une démonstration de l'optique que nous utilisons pour voir le monde. La première partie de ce livre s'intéresse à ces mouvements intérieurs. Chacun de nous chante sur un air différent, et si nous écoutons ce que nous chantons, la chanson que nous produisons se compose des questions que nous posons en travaillant, des méthodes que nous choisissons d'employer dans notre pratique, et du biais que nous montrons en favorisant certaines réponses plutôt que d'autres. Chaque chanson est à l'origine de la créativité de l'individu ; c'est un air personnel qui nous pousse à construire des choses, et nous fait ressentir la nécessité de le faire d'une manière qui nous est spécifique.
La seconde partie de ce livre observe le milieu de la création : le contexte culturel de l'œuvre que nous créons, les groupes qui interviennent dans sa construction, les relations qui lient ces groupes les uns aux autres, et les résultats attendus des efforts du créateur. La création a tendance à s'installer entre les choses pour les relier, selon des motifs trouvés par une analyse plus détaillée. Nous étudions ensuite le poids donné à la fiction, le potentiel de transformation des artefacts, et la variété des réponses disponibles pour la création. Le but de toutes ces évaluations est de considérer l'espace qui entoure la création pour identifier les pièces mobiles, pour préparer une stratégie afin d'unifier ce mouvement en un balancement qui réagit d'un commun accord lorsque les choses changent.
La dernière partie de ce livre se focalise sur le rôle premier de l'audience dans la création. Elle évalue des méthodes pour créer des liens plus riches avec cette audience et révéler l'opportunité formidable de cette entente fortuite. Que peux-t-on accomplir si l'on parle à l'audience de notre travail de manière vraie et honnête ? Peut-être que cela change les critères de succès de la création pour des qualités plus souples, plus riches de sens, comme l'enthousiasme, l'implication et la résonance. Reformuler notre pratique comme quelque chose de plus que le commerce et la résolution de problèmes nous permet de contempler la question fondamentale de son utilité. Cela requiert que nous posions des questions simples mais difficiles à propos de notre travail, telles que : « Cela nous aide-t-il à vivre bien ?»
La forme en création est une carte de la route où nous dansons plutôt que son plan de construction. C'est une lutte pour découvrir les occasions d'explorer le terrain, qui met en valeur la prise de recul en retrait des préoccupations quotidiennes de la création. Une tentative d'imposer une distance pertinente pour identifier des motifs dans notre travail et évaluer la pratique dans son ensemble. On peut observer, depuis cette distance, deux choses vraiment fondamentales sur la création qui sont faciles à rater au milieu de tout ce mouvement.
Premièrement, créer c'est imaginer un futur et travailler à le réaliser avec intelligence et ingéniosité. Nous utilisons la création pour réduire l'écart entre notre situation actuelle et celle que nous désirons. Deuxièmement, la création est une pratique basée sur la fabrication de choses pour d'autres gens. Nous sommes tous ensemble sur la route. Ces deux choses dictent notre relation au monde et le lien qui nous unit les uns aux autres. Ils forment les fondations de notre pratique de la création, et notre travail devrait donc s'articuler autour de ces vérités.
La pratique est simplement une manière de penser et de bouger que nous utilisons pour améliorer notre vie. Elle peut être utilisée par n'importe qui. Nous écoutons notre chanson, nous regardons comment les choses bougent, nous imaginons l'arrangement, puis nous agissons. Nous dansons ensemble à reculons vers le futur, donnant et recevant de l'influence, formant et prenant forme. C'est la danse éternelle et la forme de la création. J'espère vous voir chanter sur la route.
Suite de la lecture dans la partie I : le chant